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Projet sportif & projet professionnel L’histoire de Thomas 3/5

18 janvier 2021 }12 minutes de lecture

 


 

Étape 3 – Le renforcement

[Thomas]

Vouloir atteindre un objectif, exécuter un projet professionnel ou personnel, c’est un peu comme investir en faisant du temps l’unité qu’on stocke, qu’on place, qu’on dépense en vue d’un rendement projeté, d’un résultat attendu. Parce qu’il est fondamentalement « libre » (voir l’étape 2), cet investissement doit être pensé – jamais subi, maîtrisé, pour ne pas risquer le sur-entraînement. Finalement, à la bourse comme pour soi-même, on ne dépense pas l’argent, ou le temps, que l’on n’a pas. L’objet d’un projet professionnel et personnel, c’est bien de se renforcer, et non de se mettre en déséquilibre ou en danger.

 

Vigilant mais aussi très enthousiaste, je préparais donc mon cycle de renforcement en veillant à maintenir le bon équilibre.

 

Décembre 2018, tout était presque calé pour mon projet #UTMB2019 : dossard solidaire confirmé, vacances 2019 se terminant fin août par Chamonix planifiées et réservations effectuées, inscriptions pour le Vulcain (73 km et 2900 m) et  la Maxi-Race XXL (115 km et 7200 m) enregistrées, quelques pistes intéressantes pour des entraînements « weekend choc » dans le Pays-Basque… Le projet prenait une tournure presque opérationnelle, et je prenais un plaisir non dissimulé à définir et appliquer avec méthode une stratégie de renforcement équilibrée, tenant compte de mon propre capital « temps » et devant donc s’appuyer sur une vie professionnelle et familiale épanouissantes, plus que jamais piliers et en aucun cas variables d’ajustement.

 

Point d’orgue de cette stratégie, la participation de mes amis, au titre de mes 40 ans, au financement d’un stage de trail de reconnaissance avec le 5ème élément sur le parcours de l’UTMB prévu pour fin juillet.

Je déroulais donc 2019 comme on déroule un parcours de formation : studieux lors des nombreuses séquences video « Youtube », attentif  lors des lectures de récits de course, appliqué pendant les exercices spécifiques, impliqué sur les entraînements.

 

En mars 2019, je réalisais pour la 2ème fois en 2 ans le trail du Vulcain dans le Massif central, gagnant plus d’1 heure sur mon temps de 2018.

 

Début mai, je partais pour 2 jours de stage dans le Pays-Basque suivant, parfois devançant l’équipe de running locale qui y participait également.

Quelques jours plus tard, je me présentais sur la ligne de départ de la Maxi-Race XXL à Annecy, consistant à faire le tour du lac sur 2 jours. Là aussi, malgré un trajet Niort-Annecy à peine digéré, j’arrivais à l’heure pour le départ d’une course qui allait me laisser sur des sensations très positives.

Trois semaines plus tard, le week-end des 40 ans, entre amis, sous le signe de mon projet #UTMB20219, couronnait 6 mois de progrès réussis et très encourageants.

 

Tout un collectif derrière soi ! – Thomas

Tout un collectif derrière soi ! - Thomas

 

J’entamais donc la dernière ligne droite de l’été, satisfait de mon travail de renforcement sur les 6 mois précédents, et confiant pour la suite. D’une certaine façon, ce programme se déroulait sans accroc, conforme à mes plans, me permettant ainsi de progresser en toute logique sur des caractéristiques que j’avais moi-même prédéfinies. Physiquement, je progressais avec certitude. Mentalement, j’accumulais presque mécaniquement de la confiance, foulée après foulée, sans en mesurer le prix ni la valeur.

 

En sport, en particulier pour les sports de course à pied, il est connu et admis que les traumatismes sont parfois nécessaires pour renforcer le muscle. En trail, il est par exemple souvent conseillé d’enchaîner les longues descentes pour casser les fibres des quadriceps afin qu’elles se reconstruisent plus fortes qu’auparavant. C’est comme si, lors d’une formation ou d’une réorientation professionnelle, la mise à jour de nos connaissances passait inexorablement par une remise en cause des précédentes : fragiliser pour réapprendre à douter, douter pour se renforcer.

Pris dans une forme d’exaltation, ce prix à payer pour se renforcer était pour moi indolore.

 

Le 17 juillet, j’arrivais donc sur Chamonix, impatient de partir de 4 jours en montagne avec l’équipe du 5ème Elément, sur le parcours du l’UTMB, en compagnie d’accompagnateurs expérimentés et de participants passionnés.

Le 18 au matin, nous partions de la place de l’Église de Chamonix pour les premières foulées en commun, discutant déjà des courses des uns et des autres, des meilleurs comme des plus cauchemardesques souvenirs de trail de chacun, et de ce qui finalement nous réunissait ici.

 

Après une première journée pleine, tenant toutes ses promesses, nous terminions cette belle journée au refuge de Nant Borrant après 37 km et 1900 mètres de dénivelé positif ; étape idéale pour finir de construire notre petit collectif éphémère, étape utile pour tirer les premiers enseignements : j’étais en jambe !

 

Le lendemain, nous partions tôt pour attaquer les premiers morceaux conséquents avec la belle montée vers le col du Bonhomme et la longue descente tortueuse vers les Chapieux. Toujours en jambe, nous nous préparions à la 2ème difficulté de la journée avec le col de la Seigne. Avec le groupe de tête, nous terminions un passage facile, anodin, sans doute l’un des plus « roulants » du parcours, quand je me surpris à sentir mon pied gauche qui se rappelait à moi, de façon violente, comme si j’avais oublié que le contact avec le sol se faisait alternativement via ces pieds gauches et droits, censés être de simples exécutants. La tête décide, les pieds exécutent devais-je croire.

 

La surprise était passée, le bruit du craquement avec, la douleur était restée, et l’image restera. J’avais à la place de la cheville un énorme œdème. Les quelques minutes dans l’eau glacée n’y faisaient rien. ; elle était gonflée et douloureuse. Nous étions au kilomètre 53 depuis le départ de Chamonix la veille. Il en restait 29 avant de rallier Courmayeur, et quelques 1800 mètres à gravir, autant à descendre. Des pensées négatives et des idées d’échec m’étaient montées à la tête, tout aussi douloureuses. J’étais tombé, pas seulement au sens littéral ou sportif, et je ne savais pas comment accepter ces nouvelles réalités ; celle de ne pas savoir comment finir la journée et aller jusqu’à Courmayeur, mais celle aussi de redouter la fin de mon projet.

Précipité d’une forme de confiance arrogante vers un abîme d’incertitudes, ma séance de renforcement allait véritablement pouvoir commencer.

 

Arrivée au col de la Seigne, satisfait de pouvoir encore avancer et grimper malgré la douleur – Thomas

Col de la Seigne

 

Je ne saurais pas dire si la suite relève d’aptitudes à la résilience, d’une incapacité à se résigner voire d’un souci à gérer l’acceptation ou la frustration, peut-être aussi  d’un mélange de négligence et d’insouciance irresponsables,  d’une volonté d’y croire jusqu’au bout sans doute également.

Toujours est-il que rien ne s’est passé comme prévu évidemment. Exit les vacances bien planifiées nous emmenant jusqu’à Chamonix ! En lieu et place, des vacances improvisées en dernière minute (mais mémorables !) et une course contre la montre pour se relever, réparer, et se renforcer jusqu’à pouvoir prendre place dans le sas du départ de l’UTMB pour le 30 août qui commençait.

 

Dans l’attente des examens supplémentaires, j’avais réussi à organiser des séquences de pré-kinés, douloureuses mais efficaces. En même temps que j’enchaînais les échographies, scanner, IRM, j’enchaînais jusqu’à 3 ou 4 séances de kiné par semaine. Je reprenais le vélo d’intérieur le 30/07, le vélo elliptique le 31, et les premières courses à pied sur le tapis du kiné le 2/08. Le 17/08, je testais ma foulée pendant plus d’1 heure de course sur les routes de Dordogne. Le 24/08, 7 jours avant le départ, le médecin du sport qui me suivait au CHU me donnait le « go » pour participer à l’UTMB, après une ultime échographie, et me précisant bien les conditions et conséquences possibles.

 

Départ du Massif du Mont Blanc pour rapatriement sur Niort – Thomas

cheville pied

 

Sur fond d’une vieille entorse avec déchirement osseux, ma cheville s’était réparée et tenait, sans que  la lumière soit totale sur le niveau de rupture des ligaments. Ce que je retiens, c’est la détermination. Je ne savais pas qu’il était possible d’être déterminé à ce point. Cette épreuve, que j’ai traversé à la fois seul, mais aussi entouré, conseillé, écouté, avait terminé de forger une détermination littéralement sans faille. C’est à cette épreuve que je devais le vrai renforcement qui achevait ma préparation pour mon défi.

 

Le jour de l’entorse, j’avais rejoint Courmayeur à pied avant le reste du groupe, avec un accompagnateur, sans m’arrêter de peur de pouvoir redémarrer. J’étais reparti de Chamonix 2 jours plus tard, après être passé par le CHU de Chamonix qui diagnostiquait une entorse sévère avec double rupture partielle ou totale des ligaments.

J’avais appris à renforcer une cheville gonflée et douloureuse, en reprenant des exercices physiques très tôt. J’avais appris à accepter cette douleur et à composer avec.

J’avais évolué jour après jour en arrivant à envisager la possibilité de ne pas pouvoir prendre le départ, tout en persévérant à faire le maximum pour réduire autant que je le pouvais cette possibilité évidente.

J’avais compensé le manque d’entraînement de course à pied par du vélo et de l’elliptique, sué des séances quasi-quotidiennes de plus de 2 heures. Pour tout dire, j’étais habité par une rage propre à  forcer le destin. Dès que j’ai pu, j’ai enchaîné les courses en lestant mes chevilles, et lors de mon arrivée à Chamonix, 6 jours avant le départ, accompagné de ma fille, je parcourais comme un exutoire la dernière partie de la reco que je n’avais pu terminer avec le groupe du 5ème Elément.

 

Don’t worry, Run Happy – Thomas

Don’t worry, Run Happy

 

J’en ai tiré l’idée que la résilience , le renforcement, n’est pas seulement une capacité à rebondir, à s’adapter ou à revenir plus fort. C’est aussi, selon moi, une aptitude à bien mesurer le niveau de regret que l’on est prêt à accepter, le niveau de reproche à soi-même que l’on est prêt à supporter et à assumer.

Dans ce projet, je voulais n’avoir aucun regret. Je voulais sortir de cette épreuve, au-delà des possibilités de prendre le départ de la course, avec la certitude d’avoir fait mon maximum. Indépendamment d’un objectif ou d’un résultat final, le renforcement est en soi une réussite majeure. Se former, découvrir de nouvelles techniques, accéder à de nouvelles compétences, pouvoir valoriser de nouvelles ressources, a fortiori quand tout cela est traversé de difficultés, c’est, avant même un nouveau job obtenu ou une nouvelle carrière lancée, un accomplissement déterminant.

 

Dans ces projets qui nous animent intimement, le seul vrai risque est d’échouer par défaut, par le refus de la vulnérabilité et du besoin de renforcement. L’édification de chacun passe par l’acceptation du besoin de se renforcer. Sans cela, les lignes d’arrivée ne peuvent rester que des mirages, et nos projets des courses sans fin.

Nous étions le vendredi matin 30 août, pratiquement 2 ans après mon premier trail. J’avais demandé à pouvoir être un peu seul avant le départ de 18h. Contemplant un Mt-Blanc impassible, mes pensées émues remerciaient tous ceux, et tout ce qui m’avaient amené jusqu’ici.


 

Suivre toutes les étapes du défi de Thomas :

AUTEUR.E

Jérôme Bucher
Directeur Associé

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